«Le rayon de soleil
Scintillant de lumière
A glissé sur la terre.»
(Solstices et équinoxes,
Steiner)
5 avril. Jour de Pâques
tout blanc. Malgré tout, le soleil brille et je suis dans l’espérance. Comme la
terre tôt au printemps. Les érables ont commencé à couler, des cuvettes se
creusent et s’approfondissent autour des arbres. La neige se fait tour à tour
porteuse et enfonceuse, comme en témoignent mes deux chats qui n’osent
pratiquement plus lui faire confiance. Le vent s’apaise un instant et j’entends
presque fondre la neige. Les premières corneilles créent la pagaille avec la
gent ailée. Dans le fossé, l’eau libérée commence à dévaler fièrement la pente
alors que l’épaisse couche de glace s’accroche vigoureusement aux berges de
l’étang.
Il fut long et polaire,
cet hiver vieillissant qui ne se laisse pas facilement convaincre que son règne
est bel et bien terminé. Mars a rendu les armes. Pourtant, avril pourrait bien
nous réserver quelques glaciales surprises… Sans parler de mai... J’ai déjà nommé
une de mes juments «Neige de mai». Son nom décrivait l’ambiance du jour de sa
naissance et il ne s’agissait pas de quelques flocons épars mais d’une
accumulation très honorable… Puisqu’il semble bien qu’on crée par la pensée,
alors je vais vite penser à autre chose, car assez, c’est assez, n’est-ce pas?
Tiens, je vais plutôt me
rappeler les mois d’avril de mon enfance de petite fille de ville. Je revois
les patins à glace qu’on nettoyait avant de les ranger jusqu’à l’hiver
prochain. Les chassis doubles qu’on retirait. Les dernières parties de billes
qu’on faisait avec un peu de nostalgie sur une neige plus très vierge qui
disparaissait à vue d’œil. La vie trop longtemps réprimée, s’émancipait. Le
gazouillis des rigoles au bord des rues s’intensifiait, on dérouillait les clés
de nos patins à roulettes qu’on chaussait sans tarder sur nos bottes de
caoutchouc dès qu’apparaissaient les trottoirs, criblés du sable provenant du
déneigement des rues. La corde à danser,
les bolos et les yoyos retrouvaient rapidement leur place d’honneur dans la
cour de la petite école. Que de chutes et de genoux écorchés ponctuaient nos
ébats! Il paraît que c’est en se plantant qu’on devient cultivé; nous devions
acquérir des volumes de culture… Ma mère nous répétait comme si on avait pu
l’oublier depuis la veille: «En avril, ne te découvre pas d’un fil», en
brandissant foulards, tuques et manteaux devenus soudain bien trop
embarrassants pour nos cabrioles du moment. Elle redécouvrait sa corde à linge.
Elle sortait la machine à coudre et nous créait ou rénovait des manteaux de
printemps et des chapeaux de paille pour Pâques; pourtant, ce dimanche pas
comme les autres, il faisait souvent trop froid pour qu’on les parade pour
aller à la grand-messe.
Tout devenait possible et
prenait des airs de vacances. L’énergie fourmillait. On était tellement
pétulants, comme en urgence de vivre et … C’est encore comme ça, du moins
intérieurement, même si cela s’applique à d’autres réalités maintenant, comme
l’impétuosité du jardinier ou du fermier. J’étais peut-être trop en avance pour
semer les quelques vivaces à germination lente que j’ai choisi d’inviter dans
mon jardin cette année et elles étaient,
semble-t-il, un peu trop impatientes de germer... Les petites pousses d’arnica
montana, d’echinacea purpurea, d’asarina scandens et autres élues devront patienter le temps qu’il faudra sur
la table lumineuse ou sur le rebord des fenêtres. Je ne suis pas prête à
chauffer ma petite serre ni n’en ai les moyens. On nous prévoit du moins 10
cette nuit. De toutes manières, je ne pourrais pas encore m’y rendre sans
raquettes. Quant à ouvrir la porte, enfouie profondément sous la neige, je n’ai
nulle envie de pelleter tout celas par excès de fébrilité. J’attendrai que les
chauds rayons du soleil s’acquittent de la tâche, ce qu’ils accomplissent
vaillamment chaque printemps. Quant à moi, je tenterai de me mettre d’accord
avec l’agenda de la nature. Avec l’âge, j’apprends à ne pas trop nager à
contrecourant et à m’harmoniser avec les cycles et les rythmes sans que mon
cœur ne piaffe ni ne s’emballe à vouloir tout devancer par crainte de louper le
train. Comme disait si bien notre sœur Angèle nationale: «Je ne prends plus ça
à cœur, je prends ça à l’heure…»
Tard chaque automne, je
sème des graines de mesclun, d’épinards, de mâche et autres salades dans ma
petite serre, là où iront les tomates quand il fera trop chaud pour ces
verdures résistantes au froid. J’aime le fait qu’elles savent le bon moment
pour germer, dans cet espace où les fluctuations de température font succéder
en alternance le chaud et le froid. Blotties contre la terre qui se réchauffe
vite sous… l’effet de serre, quand j’ouvrirai finalement la porte de ce
précaire abri, les plantules seront là à m’attendre. Au besoin, je les arroserai,
mais pas plus. Rapidement, je me régalerai de ce merveilleux tapis vert vivant.
Au fil des ans, je n’ai jamais vu ces braves geler et faillir à leur mission de
précurseurs. Quelle science! Quand je commencerai à chauffer la nuit pour
accommoder mes tomates et autres plants plus exotiques et fragiles, ma verdure
se délectera de la petite chaleur créée et se multipliera à tel point que mes
bols de salade déborderont et que toute la famille pourra en bénéficier. Quand
je mettrai les tomates en terre, les verdures auront préparé le chemin et
seront prêtes à céder la place. D’autres graines de même nature seront alors en
voie de germer au jardin et dans mes boîtes à verdures.
Ah oui! Les boîtes à
verdures! Depuis quelques années, je les apprécie beaucoup. Lorsque j’ai fermé
l’Armoire aux Herbes, je m’étais gardé plusieurs boîtes à fleurs vides, sans
trop savoir à quoi elles serviraient. J’en remplis bien quelques-unes de fleurs
annuelles pour agrémenter ma galerie ensoleillée mais je n’en fais pas une
production. C’est ainsi que mon autre balcon abrité, qui ne reçoit que le
soleil du matin, est devenu mon jardin de verdures préféré. J’y ai installé
huit de ces contenants sur les bras de galerie et j’y sème très tôt, puisque
c’est un endroit protégé du vent froid et des pluies fortes, des oignonnets,
des verdures, quelques radis et même de la bette à carde. Puis, en succession,
tout l’été, je ressème des laitues et du mesclun. J’adore les variétés de
laitues miniatures de toutes formes et de toutes couleurs, si tendres et
délectables. Je peux les récolter facilement, les arroser parfaitement et elles
ne sont ni visitées par les limaces ni maculées d’éclaboussures de terre.
Avez-vous remarqué à quel
point le coût des semences a augmenté cette année et ce pour bien moins de
graines? De quoi nous motiver à en récolter. Il est vrai que cela requiert pas
mal de planification, de connaissance et un travail méticuleux; on ne vendrait
certainement pas nos semences artisanales pour le prix demandé par les
compagnies qui les rendent disponibles. Autre fait à noter, il y a beaucoup
plus de semences bio d’offertes maintenant et davantage de choix. Je lisais
dernièrement quelque part que lorsque les gens investissent 50$ en semences,
ils peuvent espérer produire pour 1 250$ de produits alimentaires. C’est quand
même un bon rapport qualité/prix, comme diraient les doctes économistes. De
plus, il ne s’agit là qu’une partie des bienfaits qu’on récolte quand on sème.
S’ajoutent bien des avantages humains, physiologiques, sociaux et spirituels.
Et ce quelle que soit l’échelle qui nous convienne, de la culture en contenants
de balconville, au jardinet, à la grande culture en champs. À chacun sa mesure!
Les instants de grâce spontanée, ces instruments du vivant, n’attendent que
l’occasion de notre présence d’esprit pour nous visiter où qu’on se trouve et
quoi qu’on fasse. La source de tout est en tout.
J’aime bien cette citation
de Charles de Gaulle:
«À mesure que l’âge
m’envahit, la nature me devient plus proche. Chaque année, en quatre saisons
qui sont autant de leçons, sa sagesse vient me consoler. Elle chante, au
printemps. Quoi qu’il ait pu, jadis, arriver, je suis au commencement! Tout est
clair, malgré les giboulées; jeune, y compris les arbres rabougris; beau, même
ces champs caillouteux. L’amour fait monter en moi des sèves et des certitudes
si radieuses et si puissantes qu’elles ne finiront jamais!» (Charles de Gaulle,
Mémoires de guerre, Le Salut, 1959)
Il se passe bien des
choses magnifiques, déconcertantes ou désolantes sur notre terre. Nous n’avons
même plus l’excuse du: «Je ne le savais pas.» Tellement d’êtres humains sont
profondément inquiets quant à leur avenir immédiat alors que d’autres, pour ne
pas avoir trop mal peut-être, cultivent une étrange amnésie. «Nous ne sommes
pas d’aujourd’hui ni d’hier; nous sommes d’un âge immense» écrivait si
justement Carl Jung. À l’école, on nous a enseigné le passé simple… pas si
simple que ça… Ce que nous n’avons pas très bien appris est comment faire face
au futur… compliqué. Plus que jamais, pour survivre et contribuer, pour prendre
notre envol, il nous faut découvrir et demeurer fidèle ce qui nous donne des
ailes. La vraie révolution est celle qui nous amène à nous transformer
nous-mêmes pour transformer le monde.
L’agriculture nous propose
une piste géniale. Nos cultures nous labourent, nous ensemencent, nous font
grandir et nous permettent même de porter fruit pour le plus grand bien commun.
Alors, à nos binettes ou
nos tracteurs, nos sachets ou nos poches de graines!
Et comme je lisais en
ligne dernièrement:
J’ai l’intention de
vivre éternellement.
Pour le moment,
tout se passe
comme prévu.
LOL ! Ah, ah,
ah !
Danièle Laberge
Herboriste traditionnelle
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