dimanche 5 avril 2015

Dans mon cœur jaillit la force du soleil


«Le rayon de soleil
Scintillant de lumière
A glissé sur la terre.»
(Solstices et équinoxes, Steiner)

5 avril. Jour de Pâques tout blanc. Malgré tout, le soleil brille et je suis dans l’espérance. Comme la terre tôt au printemps. Les érables ont commencé à couler, des cuvettes se creusent et s’approfondissent autour des arbres. La neige se fait tour à tour porteuse et enfonceuse, comme en témoignent mes deux chats qui n’osent pratiquement plus lui faire confiance. Le vent s’apaise un instant et j’entends presque fondre la neige. Les premières corneilles créent la pagaille avec la gent ailée. Dans le fossé, l’eau libérée commence à dévaler fièrement la pente alors que l’épaisse couche de glace s’accroche vigoureusement aux berges de l’étang.

Il fut long et polaire, cet hiver vieillissant qui ne se laisse pas facilement convaincre que son règne est bel et bien terminé. Mars a rendu les armes. Pourtant, avril pourrait bien nous réserver quelques glaciales surprises… Sans parler de mai... J’ai déjà nommé une de mes juments «Neige de mai». Son nom décrivait l’ambiance du jour de sa naissance et il ne s’agissait pas de quelques flocons épars mais d’une accumulation très honorable… Puisqu’il semble bien qu’on crée par la pensée, alors je vais vite penser à autre chose, car assez, c’est assez, n’est-ce pas?

Tiens, je vais plutôt me rappeler les mois d’avril de mon enfance de petite fille de ville. Je revois les patins à glace qu’on nettoyait avant de les ranger jusqu’à l’hiver prochain. Les chassis doubles qu’on retirait. Les dernières parties de billes qu’on faisait avec un peu de nostalgie sur une neige plus très vierge qui disparaissait à vue d’œil. La vie trop longtemps réprimée, s’émancipait. Le gazouillis des rigoles au bord des rues s’intensifiait, on dérouillait les clés de nos patins à roulettes qu’on chaussait sans tarder sur nos bottes de caoutchouc dès qu’apparaissaient les trottoirs, criblés du sable provenant du déneigement des rues. La  corde à danser, les bolos et les yoyos retrouvaient rapidement leur place d’honneur dans la cour de la petite école. Que de chutes et de genoux écorchés ponctuaient nos ébats! Il paraît que c’est en se plantant qu’on devient cultivé; nous devions acquérir des volumes de culture… Ma mère nous répétait comme si on avait pu l’oublier depuis la veille: «En avril, ne te découvre pas d’un fil», en brandissant foulards, tuques et manteaux devenus soudain bien trop embarrassants pour nos cabrioles du moment. Elle redécouvrait sa corde à linge. Elle sortait la machine à coudre et nous créait ou rénovait des manteaux de printemps et des chapeaux de paille pour Pâques; pourtant, ce dimanche pas comme les autres, il faisait souvent trop froid pour qu’on les parade pour aller à la grand-messe.

Tout devenait possible et prenait des airs de vacances. L’énergie fourmillait. On était tellement pétulants, comme en urgence de vivre et … C’est encore comme ça, du moins intérieurement, même si cela s’applique à d’autres réalités maintenant, comme l’impétuosité du jardinier ou du fermier. J’étais peut-être trop en avance pour semer les quelques vivaces à germination lente que j’ai choisi d’inviter dans mon jardin cette année  et elles étaient, semble-t-il, un peu trop impatientes de germer... Les petites pousses d’arnica montana, d’echinacea purpurea, d’asarina scandens et autres élues  devront patienter le temps qu’il faudra sur la table lumineuse ou sur le rebord des fenêtres. Je ne suis pas prête à chauffer ma petite serre ni n’en ai les moyens. On nous prévoit du moins 10 cette nuit. De toutes manières, je ne pourrais pas encore m’y rendre sans raquettes. Quant à ouvrir la porte, enfouie profondément sous la neige, je n’ai nulle envie de pelleter tout celas par excès de fébrilité. J’attendrai que les chauds rayons du soleil s’acquittent de la tâche, ce qu’ils accomplissent vaillamment chaque printemps. Quant à moi, je tenterai de me mettre d’accord avec l’agenda de la nature. Avec l’âge, j’apprends à ne pas trop nager à contrecourant et à m’harmoniser avec les cycles et les rythmes sans que mon cœur ne piaffe ni ne s’emballe à vouloir tout devancer par crainte de louper le train. Comme disait si bien notre sœur Angèle nationale: «Je ne prends plus ça à cœur, je prends ça à l’heure…»

Tard chaque automne, je sème des graines de mesclun, d’épinards, de mâche et autres salades dans ma petite serre, là où iront les tomates quand il fera trop chaud pour ces verdures résistantes au froid. J’aime le fait qu’elles savent le bon moment pour germer, dans cet espace où les fluctuations de température font succéder en alternance le chaud et le froid. Blotties contre la terre qui se réchauffe vite sous… l’effet de serre, quand j’ouvrirai finalement la porte de ce précaire abri, les plantules seront là à m’attendre. Au besoin, je les arroserai, mais pas plus. Rapidement, je me régalerai de ce merveilleux tapis vert vivant. Au fil des ans, je n’ai jamais vu ces braves geler et faillir à leur mission de précurseurs. Quelle science! Quand je commencerai à chauffer la nuit pour accommoder mes tomates et autres plants plus exotiques et fragiles, ma verdure se délectera de la petite chaleur créée et se multipliera à tel point que mes bols de salade déborderont et que toute la famille pourra en bénéficier. Quand je mettrai les tomates en terre, les verdures auront préparé le chemin et seront prêtes à céder la place. D’autres graines de même nature seront alors en voie de germer au jardin et dans mes boîtes à verdures.


Ah oui! Les boîtes à verdures! Depuis quelques années, je les apprécie beaucoup. Lorsque j’ai fermé l’Armoire aux Herbes, je m’étais gardé plusieurs boîtes à fleurs vides, sans trop savoir à quoi elles serviraient. J’en remplis bien quelques-unes de fleurs annuelles pour agrémenter ma galerie ensoleillée mais je n’en fais pas une production. C’est ainsi que mon autre balcon abrité, qui ne reçoit que le soleil du matin, est devenu mon jardin de verdures préféré. J’y ai installé huit de ces contenants sur les bras de galerie et j’y sème très tôt, puisque c’est un endroit protégé du vent froid et des pluies fortes, des oignonnets, des verdures, quelques radis et même de la bette à carde. Puis, en succession, tout l’été, je ressème des laitues et du mesclun. J’adore les variétés de laitues miniatures de toutes formes et de toutes couleurs, si tendres et délectables. Je peux les récolter facilement, les arroser parfaitement et elles ne sont ni visitées par les limaces ni maculées d’éclaboussures de terre.

Avez-vous remarqué à quel point le coût des semences a augmenté cette année et ce pour bien moins de graines? De quoi nous motiver à en récolter. Il est vrai que cela requiert pas mal de planification, de connaissance et un travail méticuleux; on ne vendrait certainement pas nos semences artisanales pour le prix demandé par les compagnies qui les rendent disponibles. Autre fait à noter, il y a beaucoup plus de semences bio d’offertes maintenant et davantage de choix. Je lisais dernièrement quelque part que lorsque les gens investissent 50$ en semences, ils peuvent espérer produire pour 1 250$ de produits alimentaires. C’est quand même un bon rapport qualité/prix, comme diraient les doctes économistes. De plus, il ne s’agit là qu’une partie des bienfaits qu’on récolte quand on sème. S’ajoutent bien des avantages humains, physiologiques, sociaux et spirituels. Et ce quelle que soit l’échelle qui nous convienne, de la culture en contenants de balconville, au jardinet, à la grande culture en champs. À chacun sa mesure! Les instants de grâce spontanée, ces instruments du vivant, n’attendent que l’occasion de notre présence d’esprit pour nous visiter où qu’on se trouve et quoi qu’on fasse. La source de tout est en tout.

J’aime bien cette citation de Charles de Gaulle:
«À mesure que l’âge m’envahit, la nature me devient plus proche. Chaque année, en quatre saisons qui sont autant de leçons, sa sagesse vient me consoler. Elle chante, au printemps. Quoi qu’il ait pu, jadis, arriver, je suis au commencement! Tout est clair, malgré les giboulées; jeune, y compris les arbres rabougris; beau, même ces champs caillouteux. L’amour fait monter en moi des sèves et des certitudes si radieuses et si puissantes qu’elles ne finiront jamais!» (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Le Salut, 1959)

Il se passe bien des choses magnifiques, déconcertantes ou désolantes sur notre terre. Nous n’avons même plus l’excuse du: «Je ne le savais pas.» Tellement d’êtres humains sont profondément inquiets quant à leur avenir immédiat alors que d’autres, pour ne pas avoir trop mal peut-être, cultivent une étrange amnésie. «Nous ne sommes pas d’aujourd’hui ni d’hier; nous sommes d’un âge immense» écrivait si justement Carl Jung. À l’école, on nous a enseigné le passé simple… pas si simple que ça… Ce que nous n’avons pas très bien appris est comment faire face au futur… compliqué. Plus que jamais, pour survivre et contribuer, pour prendre notre envol, il nous faut découvrir et demeurer fidèle ce qui nous donne des ailes. La vraie révolution est celle qui nous amène à nous transformer nous-mêmes pour transformer le monde.

L’agriculture nous propose une piste géniale. Nos cultures nous labourent, nous ensemencent, nous font grandir et nous permettent même de porter fruit pour le plus grand bien commun.

Alors, à nos binettes ou nos tracteurs, nos sachets ou nos poches de graines!
Et comme je lisais en ligne dernièrement:

J’ai l’intention de
vivre éternellement.
Pour le moment,
tout se passe
comme prévu.


LOL ! Ah, ah, ah !

Danièle Laberge
Herboriste traditionnelle

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