dimanche 7 août 2011

Devenir une bonne récolte!

L'arche fleurie du potager annonce l'abondance

Aujourd’hui, lourdeur, chaleur et moiteur sertissent ce beau dimanche d’août qui, pour beaucoup de gens, marque la fin des vacances d’été. L’humidité et l’immobilité de l’air enchantent les plantes estivales. La sècheresse menace. Certains d’entre nous ont connu des grands orages ces derniers temps, accompagnés de pluies diluviennes. Ici, par contre, l’eau du ciel s’est faite rare depuis un mois et ce fut toute une adaptation pour les plantes qui avaient été gavées par des ondées fréquentes et des nuits fraîches depuis le début du printemps. L’eau a tellement baissé dans l’étang que j’ai dû commencer à l’irriguer afin de compenser pour l’évapotranspiration excessive qui menaçait la survie de mes chers nénufars. Souvent, déjà, ça sent la fin de l’été. Les levers de soleil illuminent d’abondantes rosées qui glacent les pieds. Les verges d’or sont en fleurs depuis des semaines. Les fleurs des roses-trémières s’ouvrent tout en haut des longues tiges et les fleurs de molène se hissent rapidement le long de leurs mats velus. Les mauves de Mauritanie s’enflamment dans une floraison démesurée, les calendule ne montrent pas le moindre signe d’essoufflement. Irrémédiablement, les jours de chaleur intense font mûrir tout ce beau monde végétal qui vieillit maintenant à vue d’œil. Les graminées s'affaissent. Beaucoup de vivaces comme les misères (tradescantias) se couchent en rond sous le poids de la matière. C’est le temps de tailler et de tuteurer ce dont on veut préserver les graines. C’est le temps d’engranger et cette activité durera incessamment jusqu’aux grandes gelées. Que la nature est généreuse! 
Je me souviens au début de ma carrière quand j’ai rencontré Mildred Lohrer, la vieille herboriste du Michigan. Elle avait eu des grands jardins de plantes médicinales, y avait reçu des milliers de visiteurs, animé d’innombrables ateliers et soigné tout ce qui, dans le besoin, avait croisé son chemin de femme dévouée au service de la santé. Malgré son âge et le fait qu’elle ne cultivait plus depuis belle lurette la parcelle derrière sa vieille demeure, elle ne cessait d’offrir ses surplus aux plus jeunes jardiniers et guérisseurs qui recherchaient sa fertile présence. En plus de la connaissance, elle répandait sur nous en toute gratuité d’abondantes récoltes de tomates volontaires, des mannes de raisins, des brassées de fleurs et des poignées de semences à apprivoiser, sans parler des piles d’articles jaunis et carnets de découvertes notées au fil du temps. Je trouvais cela si extraordinaire. Et ça l’était. J’imagine que ce jardin, devenu corne d’abondance spontanée, a été pavé pour accommoder la ville avoisinante. Le véritable legs de Mildred ne fut pas la matière qu’elle donnait à tout venant, mais l’inspiration, la confiance, l’exemple d’une vie entière d’amour du végétal et de don de soi. Elle joua un rôle tellement vital dans ma vie.
Ces temps-ci, je pense souvent à elle. Surtout depuis que mon jardin devient champs fleuris. J’ai l’impression de nager comme elle dans l’abondance. Cet été, on a littéralement croulé sous les fruits : gadelles, bleuets, cassis, framboises, fraises… J’ai invité des tas d’amis à venir s’en cueillir. Encore maintenant, il reste des gallons de cassis et de bleuets. Même les oiseaux sont rassasiés et les congélateurs sont bien garnis pour les mois d’hiver. Il y aura amplement de petits pots de confitures et de gelées à offrir avec plaisir tout au long de l’année. Et vous devriez voir les cynorrhodons qui se développent. Gros comme des petites pommes… et déjà mûrs, avant même que ne noircissent les fruits des sureaux et que ne rougissent les fruits des ronciers odorants! Faut croire qu’on aura grand besoin d’antioxydants et de vitamine C… Quant aux pommiers, ils ploient sous les fruits qui déjà rosissent et se pâment de sucre.
Malgré toute cette splendeur, j’ai passé la semaine à pleurer comme une madeleine… Non, je ne pleurais pas le fait que le temps des petits pois et des mangetouts s’achève, que les brocolis géants sont tous prêts en même temps, que les choux fleurs blancs comme neige battent des records de taille et de bon goût, que… Non! Pas davantage que je ne pleurais de désespoir devant l’envahissement du jardin par les adventices. D'ailleurs, je n’ai jamais autant photographié de splendides bardanes! Je ne pleurais pas parce que les pavots sont devenus capsules, que le maïs est bientôt prêt et que les haricots se font abondants au point de devenir envahissants. Je pleurais à chaudes larmes parce que… parce que…
Suite demain.
Ce texte est bien assez long.
Je veux ajouter sans faute des photos récentes à l’album du blogue. Je veux aussi aller me promener et profiter de cette journée de vie intense et fabuleuse.
Ça prend bien peu de choses au fond pour être heureux: ça prend de remarquer qu’on l’est et de remercier la vie de la conscience de l’être. C’est un état d’âme qui se vit au présent, sans souffrir de ce qui fut et de ce qui sera peut-être plus tard. C’est une halte bien méritée où l’on célèbre sa vie et ce dont on a su s’entourer. C’est se savoir là où l’on veut être. C’est arriver enfin au rendez-vous avec soi-même, sans se mettre tout plein de conditions ou de défis pour y avoir droit. C’est un état qui ne souffre nulle comparaison, ni avec ce qu’on a été ou vécu, ni avec ce que les autres vivent ou semblent être.
Je pense à vous qui me lisez. C’est tellement précieux de sentir que nous sommes ensemble, nombreux à désirer que cette terre soit de plus en plus humaine.
« Nous devenons ce que nous admirons. » disait Gandhi. Nous sommes en train de devenir… un bien beau jardin et une bonne récolte!



Devenir une bonne récolte – suite et fin

Ah! Notre soupe à l'oignon en conserve! Du soleil en réserve!



Et alors, ces larmes, pourquoi, me demanderez-vous? Mêlez-vous de vos oignons! Non! Ce n’est pas ce que je voulais dire… Tout simplement parce que ce fut ici LA semaine des oignons. Le potager en regorgeait : magnifiques, tendres et juteux à souhaits, mais arborant de bien trop gros cous pour se préserver cet hiver. Alors au boulot! Ravale tes larmes et coupe! Je dois avouer que je pleure bien moins qu’avant quand je prépare des oignons. J’utilise des lunettes du type natation et cela fonctionne assez bien quoique je vois beaucoup moins bien avec elles qu’avec mes vraies lunettes. Double prudence est de rigueur. Et de plus, je coupe et tranche avec rapidité et efficacité des montagnes d’oignons en un temps record en utilisant des petits bijoux d’efficacité, les coupe-légumes et tranches oignons de la compagnie suédoise Alligator (disponibles entre autre sur Amazon.ca à coût assez modique). Malgré tout, je pleure. C’est qu’il est vraiment difficile de résister au grand pouvoir irritant des oignons. J’ai essayé des tas de trucs comme de les refroidir avant de les couper ou encore de les couper sous un filet d’eau. Ça irait peut-être pour quelques unités, mais pas pour les multitudes! Et qui a de la place pour les réfrigérer ou souhaite les manipuler mouillés et dilués? 
Mais qu’est-ce qui fait de l’oignon un tel tyran? Quand on écrase ses cellules, des enzymes sont libérées, dont l'allinase qui réagit alors avec un autre composant de l'oignon (1-propényl-L-cystéine sulfoxyde) pour former du propanthial S-oxyde, à partir du 1-propényl-L-cystéine sulfoxyde. Oui pis? Ce dernier étant volatile s'échappe sous forme de gaz, très agressif pour nos yeux. C'est lui le responsable de nos pleurs ! Lorsque ce composé soufré entre en contact avec le liquide qui protège nos yeux des poussières en baignant notre cornée, il se dissout entraînant la formation d'acide sulfurique particulièrement irritant. Pour se défendre, le cerveau provoque une grande production de larmes et le clignement des yeux. Le battement des paupières étale le liquide sur toute la surface des yeux : autrement dit, les larmes sont produites abondamment pour rincer les yeux. Hélas, le produit lacrimogène devenant, en présence d'eau, de l'acide sulfurique, plus on pleure, plus il y a d'eau et donc plus il y a d'acide sulfurique et plus on pleure... Alors aussi bien en profiter et pleurer un bon coup, en sachant que ça ne va pas durer, en tout cas pas aussi longtemps que les larmes des peines de cœur.
Et qu’est-ce que je fais de tous ces oignons? J’en prépare des sachets sous vide pour la congélation. Ils seront prêts pour les soupes de l’hiver. Ce qui est formidable avec les oignons, c’est qu’on n’a pas à les blanchir avant de les surgeler. J’en fais aussi sécher pour les mettre en poudre et les intégrer à mon sel d’herbes maison. Mais surtout, j’en fais de la soupe à l’oignon en conserve. Des repas nourrissants et vitaminés, délicieux et vite réchauffés au four avec croûtons et fromage gratiné si désiré. Il faut bien suivre la recette et surtout respecter  le temps de stérilisation dans la marmite à pression. Je vous en donne la recette dans les astuces saisonnières. Avec l’aide inestimable de Frédéric, devenu un vrai champion de la préservation, nous en avons préparé plus de 80 pots en deux jours! C’était bien bon de travailler en équipe, de partager en paix des joies simples, de vivre la solidarité, de juguler ce qui sépare et de s’ouvrir à ce qui unit. Comme l’écrit si bien Anne Grossouvre : « Je sentais la justesse d’une vie qui coule naturellement de sa source créatrice aux gestes du quotidien, et qui s’est donné les moyens de s’en souvenir jour après jour. » Des gestes simples, rien de bien important, rien de bien décisif encore, juste une mélodie qui s’installe. Le travail nous ancre, il nous garde centrés et rythmiques. Il ne doit cependant jamais devenir une démesure. Il ne doit pas remplacer le sommeil, le plaisir, le répit, le reste de la vie. Aussi, là-dessus, je vous quitte pour aller déjeûner aux bleuets. Bonne semaine et bonne soupe à l’oignon, si vous en avez le goût!



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