Herboristerie

Une vision bien personnelle de l’herboristerie 


L’herboriste s’appuie sur une connaissance approfondie de la nature et des plantes. En s’ouvrant à la nature essentielle des plantes, nous pouvons percevoir les innombrables dons qu’elles renferment. Toute plante est médicinale au fond. Ce n’est pas parce que nous n’en connaissons pas encore les propriétés qu’il en est autrement. Et toute plante est plus que le résultat d’une soupe chimique ; de même que pour l’humain, le tout est plus que la somme de ses parties. 

L’herboristerie traditionnelle contient tout le savoir de nos ancêtres qui avaient avec les plantes médicinales, un rapport privilégié. Cette tradition enseigne aussi bien les propriétés curatives et culinaires des herbes que les méthodes simples de transformation permettant de les préserver afin de bénéficier de leurs effets tout au long de l’année. 

À nos yeux d’herboristes agricoles, toutes les herbes sont des fruits de la terre. Malgré les nouvelles règlementations gouvernementales, nous maintenons que les herbes ne sont pas pharmaceutiques mais alimentaires. Pourquoi diviser ce que la nature a unifié ? Les qualités curatives sont intimement liées aux qualités alimentaires, la meilleure médecine étant une saine alimentation. Les herbes devraient être reconnues comme les accompagnements naturels et nécessaires de toute alimentation saine et vivante. Les herbes nourrissent et vivifient le corps au même titre que les autres aliments. Elles apportent au corps ce que les autres fruits, légumes, grains ne suffisent pas à lui donner. Dans les marchés d’autrefois, les comptoirs d’herbes côtoyaient invariablement ceux des autres aliments. L’un n’allait pas sans l’autre. Et les herboristes qui avaient reçu l’enseignement traditionnel des herbes, conseillaient les gens selon leurs besoins et ceux de leurs familles, leur transmettant des recettes d’herbes pour compléter adéquatement leur alimentation. 

Les plantes médicinales ne constituent pas une compétition pour le système médical actuel. Elles lui ont donné naissance et le servent encore malgré le peu de reconnaissance qui leur est rendu officiellement. 

En plus de leurs qualités alimentaires, c’est la vitalité et la qualité des herbes qui procurent à l’organisme une impulsion pour corriger ses erreurs de parcours et pour supporter l’équilibre qui prévient les désordres. 

L’herboristerie traditionnelle ne se rallie pas à la notion que les herbes sont plus utiles si on isole ou si on concentre leurs principes actifs. Pas plus qu’à l’idée que les plantes seraient constituées uniquement de cellules. Les plantes, ces êtres vivants, qui appartiennent à l’univers du sensible-suprasensible, ne se construisent pas à partir de leurs cellules, mais elles intègrent leurs cellules dans leur être. 

Ainsi, rien ne vaut les plantes entières, sous forme de tisane ou extraites dans un bon solvant biologique. Rien n’est plus important que l’équilibre de ces plantes entières. Et cet équilibre est obtenu par une agriculture consciente, supportant l’intégrité des plantes. Elles sont alors véritablement porteuses d’impulsions vivantes saines et non une concentration mesurée de leurs principes actifs obtenue suite à leur dissection en laboratoire. C’est la qualité vivante qui compte, pas la quantité d’un contenu mort. 

Elles seront encore là, au service de la santé, après la perte de popularité de l’approche médica-menteuse. La chimie rendra un jour le sceptre de la sagesse à l’alchimie qui lui a donné vie et qui la contient. 

L’AU DELÀ DE LA PLANTE 

Je viens vous parler à ma façon des herbes, notre belle passion commune. Avec des mots qui permettent d'en saisir l'incommensurable subtilité inscrite dans le gestuel mais dépendant de sens nouveaux à développer pour se rendre visible, audible. De toutes les différentes visions des herbes que l'on rencontre ces dernières années et qui s'entremêlent et s'entrechoquent à qui mieux mieux, je ne peux que vous présenter celle qui me fait vibrer. C'est une vision qui prend comme base le fait que la plante est beaucoup plus que ce qu'elle nous présente d'elle. Que sa nature sensible, de par son ultime ancrage dans la matière de la terre, ne constitue en aucun cas sa totalité puisqu'elle s'étend, de fait, tellement plus haut, tellement plus bas et tellement plus grand que ce qui peut être reçu par nos sens limités d'humains en devenir. 

Vous me direz peut-être que tout cela n'est pas très scientifique. Hélas non, et ce n'est pas la faute de la plante mais bien de la science, étant donné que cette dernière, actuellement, ne considère comme réel que ce qui peut être mesuré à l'aide de ses instruments finis et, de plus, répété plusieurs fois de suite dans des conditions immuables donc sclérosées. C'est pourtant le contraire même de la vie que de se reproduire identiquement. Il me semble fort étrange qu'on cherche à niveler, par exemple, les prétendus principes actifs de la plante, alors que la nature nous offre cette incroyable diversité de variances qui, si elle n'était pas utile, ne serait pas. À quoi bon créer, au fil des temps, des échinacées qui, d'un plant à l'autre, n'ont jamais, jamais été exactement pareilles, si c'est pour en retirer les sucs et en faire des concentrés standardisés ? Plus vrai que nature ? 

Je ne comprends rien à cette vision matérialiste qui ne prend pas le sens même de la vie en considération. Des extraits standardisés ! Quand on pense qu'en médecine tibétaine, entre autres, on recommande à la personne souffrante, selon son caractère propre, la spécificité de ses malaises et les résonances thérapeutiques équivalentes, d'utiliser une plante ayant poussé dans telle ou telle région du pays et à telle ou telle altitude... On est loin ici du nivelage dont on cherche à nous faire croire qu'il propose une assurance d'efficacité par le simpliste décompte de quelques éléments. 

Et je ne comprends pas davantage cette notion de principes actifs, alors que je sais bien que la plante est guérissante dans son ensemble, qu'on peut guérir de la cultiver, de la toucher, de la prendre en dose souvent infinitésimales, comme l'homéopathie et les élixirs de fleurs le démontrent si bien. Car, est-ce une question de concentration ou d'émulation ? La plante est la manifestation tangible d'énergies spirituelles dont nous avons tout à fait besoin pour aller bien. Nous qui, en tant qu'humains, avons développé d'autres dons, d'autres relations avec la vie, aurions-nous parallèlement perdu un peu la sagesse innée de l'origine qui permet la survie des cellules sans l'obstacle de la pensée qui veut souvent autre chose ou de l'émotion qui, se faisant excessive, paralyse ? 

Il est extrêmement dommage de se priver de l'expérience réelle et candide de la vie uniquement parce qu'une chose ne serait pas prouvée scientifiquement. De quoi notre société a-t-elle davantage besoin, de retrouver ses liens avec la nature vivante ou de consommer davantage les fruits de l'industrie ? J'ai vu de nombreuses personnes pleurer, en regardant simplement des diapositives de belle nature à l'état pur... Le manque est grand... 

Nous aurons bien essayé, à notre époque de réduire la plante à ses principes actifs. On en est arrivé à se créer une image d'elle qui est tout à fait inexacte. La plante n'est pas un emballage pour ses principes, un emballage jetable, dont on se débarrasse après l'extraction de ces derniers. Est-ce là tout ce qu'on en est rendu à voir ? Belle limite que nous imposons à la vie. Comme le dit si bien le botaniste Wilhem Pélikan : « Drôle d'emballage qui a le pouvoir d'engendrer son contenu. » Le jeter ne serait pas preuve d'intelligence. Je regarderais bien autrement mes sacs d'épicerie s'ils se remplissaient eux-mêmes ! 

Le jour viendra où l’on repensera à la vision matérialiste « principe actif » que nous avons de la plante comme à un aveuglement temporaire d'une humanité en recherche de conscience. Cette notion appartiendra alors à l'histoire. Et ce temps vient plus rapidement que l'on pourrait croire. Comme écrivait Claude Gélineau dans un article sur l'homéopathie publié dans le Germe, le bulletin de l'Association de Biodynamie du Québec : « Plusieurs d'entre nous cherchent un peu plus que des molécules et de sèches formules mathématiques. » Ça ne sert à rien de se cramponner à cette approche réductrice. Est-ce de l'idéalisme ? Ou du réalisme. Quelle est la limite de la réalité dans laquelle on vit ? Jamais la pharmacologie allopathique, pas plus que la phytothérapie qui se limite à la vision partielle de la vraie nature des plantes ne pourra résoudre le questionnement suivant : comment la plante peut-elle avoir des relations curatives avec l'humain ? Pas plus qu'elle ne pourrait répondre à la question suivante : comment expliquer que la plante ait la forme qu'elle a et contienne les éléments qu'elle comprend. Comment ? Et dans quel but ? Et pourtant quoi de plus important, de plus fascinant ? 

Je sais que nous possédons tous des outils à développer, des outils subtils qui nous permettent d'explorer le suprasensible, et qu'après y avoir travaillé pendant des années, je les vérifie avec délices tous les jours de ma vie. Il ne s'agit nullement d'une théorie. D'autre part, même sans ces outils, j'ai aussi vu la transformation profonde que l'observation de la bonne plante peut apporter à ceux qui la prendront pour améliorer leur santé. Et ce que je déplore (quoique maintenant, cette situation, grâce à vous soit en train de changer à toute vitesse), c'est qu'il n'y ait pas davantage de jardins d'herbes, grands et petits, partout où l'on recherche leurs pouvoirs curatifs. La plante, embouteillée s'il le faut, peut alors s’offrir conjointement avec la rencontre intime de cette dernière sous sa forme la plus vibrante, soit les racines bien ancrées dans la terre saine, les feuilles toutes tendues vers la juste dose de lumière, la fleur épanouie, offrant son sourire d'amour au ciel qui la regarde et la configure. C'est de cette relation vivante dont nous avons le plus besoin. 

Nos petits pots et nos petites bouteilles sont bien davantage des rappels de cette bonne vie que des substituts naturels de produits de synthèse, moins nocifs, certes, mais qui peuvent être aussi dénaturés si on ne les assemble pas avec le souci constant de prévenir la perte de vie par les manipulations mécaniques. C'est pour cette même raison que nous sommes là, en train de faire renaître de ses cendres l'herboristerie traditionnelle, locale, à échelle dynamiquement humaine. Steiner affirme : « Que cela ne vous fasse pas sourire... mais un médicament, lors de sa préparation, diminue de qualité en fonction du nombre de manipulations mécaniques remplaçant les manipulations manuelles. L'humain a la capacité, en plus d'amener les pouvoirs subtils des plantes à se retrouver dans le produit, qui est la signature d'une vie de plante réussie, d'introduire quelque chose d'autre dans ce qu'il élabore. » Et Steiner était persuadé que les remèdes, une fois entrés dans un circuit commercial mécanique, y perdent une bonne partie de leurs propriétés. Moi, ça me fait sourire de tant y croire et de tant le vivre dans notre herboristerie, tendant inlassablement vers l'essence de sa mission thérapeutique bien plus que vers un « marché » à s’approprier. 

Goethe disait un jour que toute expérimentation, se faisant au moyen d'instruments extérieurs, éloignait en fait de la nature. Il se mit à sa propre école, parcourant l'Europe entière, herborisant jusqu'à l'obsession heureuse et la découverte de la métamorphose des plantes, ce gestuel inhérent à la vie de la plante primordiale qui se vérifie à chaque contact privilégié avec quelque plante que ce soit. Mais, il disait aussi que toute anomalie se présentant dans la nature, et qu'est-ce que la maladie, peut nous introduire dans des rapports plus profonds avec la nature. Car que saurions-nous de la lumière des étoiles s'il n'y avait pas un peu de noir autour ? 

Je crois vraiment qu'il est de notre devoir, en tant qu'humains aimant profondément les plantes, de stimuler de nouvelles impulsions volontaires qui peuvent aboutir dans des actions concrètes. Et que la Guilde est un de ces efforts, ainsi que toutes nos petites entreprises. Et cela prend des forces de courage, qui sont l'essence même de l'impulsion Michaélique, l'esprit du temps qui nous guide à cette étape de développement de l'humanité, pour faire face à toutes les forces de décadence et de matérialisme à outrance qu'on peut observer autour de nous. Prenons bien garde que les herbes, principes actifs et NPSN inclus, ne soient reprises par un système qui ne respecte pas la vie. Ce n'est pas une preuve de la validité ni de la vitalité soignante d'une plante qu'elle vienne d'ailleurs, qu'elle ait un numéro qui certifie qu'elle est normalisée, qu'elle ait payé son dû au système pour pouvoir dire librement ce qu'elle offre comme actions thérapeutiques, qu'elle parle d'elle avec des mots traduits dans les deux langues. Ce qui compte, c'est la provenance et la conscience qui l'ont accompagnée dans sa route jusqu'à nous. Et l’on est toujours mieux servi par ce que l’on connaît de près et par ce qui cherche sincèrement et simplement à nous venir en aide. 

Je ne veux pas être de ceux dont on dit : ils ferment les yeux et disent que le soleil est mort. Alors, je plonge... Et j'ose dire que, puisque nous sommes en train d'apprendre à hausser nos taux vibratoires sans en mourir, cette forme d'initiation, cette forme de guérison ne se fera pas sans l'aide de l'impondérable, de l'irréductible secret de l'énergie à l'oeuvre dans les plantes aussi bien qu'en nous. Et qu'il s'agit là d'une science aussi rigoureuse qu'exacte et non des fabulations farfelues d'un esprit surchauffé par un mysticisme à la rose... Les maladies qui font le plus souffrir notre ère moderne impliquent, par leur nature même, de s'occuper de tous les aspects de l'être. La seule science et la technologie n'en viendront pas à bout. Les cas de plus en plus nombreux de dissociations psychiques, par exemple, de dites psychoses, sont là pour nous rappeler que nous vivons en tant qu'humanité un moment crucial, où la vision spirituelle s'éveillera de gré ou de force, ralliant le corps et l'âme, pour contrecarrer les excès dommageables d'une technologie pourtant bénie qui lorsqu'elle se débride, pollue, tue et déforme la réalité, au détriment de ce qui y vit. 

Vous savez, quand on est herboriste, on est habité par une grande passion, celle de botaniser sans cesse, « de prêter l'oreille au langage mystérieux et clair à la fois de la grande Mère » (Goethe). Nous repartons sans cesse vers le jardin, vers les champs, revoir, réapprendre, re-vérifier, en toute humilité, ne prenant rien pour acquis que la joie d'être là, à cette époque si importante pour l'humanité. Et nous guérissons tranquillement, sans hâte, à la nature, en une étude libre et joyeuse. Grohman avait bien raison en écrivant : « Notre époque stérilisée par l'intellect a besoin de centrer sa pensée et son observation sur les mystères de la vie végétale comme d'un remède. » Un remède à la souffrance de toute vie qui se cherche, dans le grand froid du manque d'amour. Nous développons au contact de la nature un pensé actif : l'idée même qui agit dans le phénomène. Nous apprenons à penser comme la plante. 

« Devenir un vrai herboriste implique de devenir un visionnaire. Cela signifie être sensible à l'être de la plante. C'est apprendre à écouter quand la plante parle, à parler avec la plante comme avec un autre être humain, et à la regarder comme son maître. » (David Frowley et Vasant Lad- The yoga of herbs-- Ayurveda)


24 février 2010
Le testament de L’Armoire aux Herbes,
Écho sensible de la réalité québécoise

Pour la première fois en trente ans, il n’y aura pas de serre remplie à craquer d’herbes et de fleurs en devenir, pas de merveilleux jardins à perte de vue, pas de production de plantes médicinales, pas de transfor-mation en nos excellents produits de santé. C’est avec beaucoup de peine et le cœur très gros que j’ai dû finalement arriver à cette conclusion, forcée de le faire par la conjecture actuelle. Ma chère Armoire aux Herbes écoulera cette année les produits qui nous restent, bons au moins jusqu’en 2012, puis, elle devra fermer ses portes. Il est impensable d’engager les frais encourus par une autre saison agricole, tous ces salaires des jardiniers et transformateurs animés par l’esprit le plus pur de la tradition herbale, alors qu’il devient rapidement impossible d’offrir nos produits d’herboristerie aux clients qui les aiment et les réclament dans les magasins de produits naturels. Nous vivons depuis dix ans sous les menaces, dans un climat d’insécurité et dans la nécessité de tout justifier aux yeux de personnes qui ne connaissent rien de notre réalité. Nous décidons de retirer de sur nos têtes cette épée de Damoclès qui a miné nos énergies et brisé nos cœurs. Nous choisissons la paix et la liberté et la conséquence de choix, c’est le retrait stratégique et volontaire.

Après des efforts notoires de démarches auprès de Santé Canada pour faire approuver nos produits afin de tenter d’obtenir les sacro-saints Numéros de Produits Naturels (NPN) imposés, nous avons dû reculer et nous rendre à l’évidence que nos produits tels qu’ils sont ne passeraient jamais cette épreuve pharmaceutisante. Nous n’allons pas nous mettre à faire des teintures dans l’alcool pour satisfaire des exigences extérieures.

Nous n’avons jamais crû en ce processus de « triage » du gouvernement, il faut bien le dire. Une des plus grandes faiblesses de la réglementation des produits de santé naturels vient du fait que les critères d’évaluation et les normes de preuves exigées pour homologuer les produits ont été établis par Santé Canada sans aucune distinction qu’il s’agisse de produits manufacturés par de grandes multinationales ou par des petites et moyennes herboristeries artisanales dont le rôle a toujours été d’offrir un large compendium pour bien servir. Nous avons pressenti dès 2004 que nous (les petites herboristeries traditionnelles) serions les laissés-pour-compte dans cette histoire. Nous savons que nos produits sont efficaces, que leur innocuité est réelle et que si nos clients y sont demeurés fidèles depuis des décennies, c’est parce qu’ils fonctionnent. Nous ne devrions pas avoir à réparer ce qui n’est pas cassé, à changer ce qui réussit. Nous ne devrions pas avoir à réviser nos formules qui ont fait leurs preuves pour qu’elles soient copies conformes des formules de quelques herboristes du passé ayant été sélectionnés pour faire office d’experts, à changer nos concentrations qui sont parfaitement appropriées, à faire tester chaque année pour des résidus de produits chimiques, nos produits d’herboristerie qui proviennent uniquement de notre terre, celle-ci étant éloignée de toute culture polluante et certifiée biologique et biodynamique depuis l’avènement au Québec de telles certifications.

Pour nous, la plante médicinale est et devrait demeurer un aliment et non une drogue. « Que ton aliment soit ton remède ». Il n’y a aucune différence entre le tonique à l’ail que nous extrayons dans le vinaigre et l’ail que nous mangeons. Ils ont tous deux une indéniable action curative, tout comme nos carottes et notre chou. Une véritable transformation traditionnelle, à échelle humaine, faite dans le respect de bonnes pratiques de fabrication n’en fait pas pour autant un produit de laboratoire mais constitue une méthode visant à s’assurer du service des bonnes plantes pendant les saisons où elles ne sont pas disponibles dans nos champs et dans nos jardins. Comme la choucroute préserve nos choux et les pots de salsa nos savoureux légumes d’accompagnement. Nous ne croyons pas à l’analyse des principes actifs, à la mesure de quelques éléments, avec la prétention d’assurer ainsi une constance de concentration. Chaque année que le ciel nous donne fait pousser des plantes qui sont quelque peu différentes dans leurs combinaisons d’éléments et ce, pour de bonnes raisons. La standardisation n’a rien à voir avec la qualité. Elle n’est que la preuve d’un produit mort, dans lequel ne coulent plus les sources de la vie qui elle, est d’abord et avant tout changement.

Pour nous, la qualité de nos plantes, évidente à tous ceux qui au fil des ans ont visité et sillonné nos jardins, la qualité vibratoire, malgré le fait qu’elle ne soit pas encore mesurable en laboratoire, a fait ses preuves. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli, fiers de ce qui aura été un beau modèle de petite entreprise honnête, fidèle à ses convictions profondes, heureuse de vous avoir offert nos jardins en gouttes, en huiles et en tisanes.
Nous avons de la peine pour les thérapeutes habitués à soulager la souffrance humaine grâce à nos produits et à ceux de nombreuses autres petites herboristeries. Nous avons de la peine pour les herboristes de demain qui n’auront pas la chance de vivre cet extraordinaire périple qui nous a animés pendant trois décennies. Nous avons de la peine pour les gens qui se verront brimés dans leur liberté de choisir et de juger par eux-mêmes ce qui leur convient, en consommateurs avertis. Nous aurions préféré que l’attention de Santé Canada se concentre sur tous ces dangereux produits de synthèse qui rendent tellement de gens malades ou dépendants, grugeant leur santé déjà taxée par les exigences de la vie actuelle, stressante à souhait.

L’automne dernier, j’ai récolté, nettoyé, compté avec amour toutes les semences qui allaient devenir les jardins 2010. Notre ail a été mis tendrement en terre. Cet hiver, j’ai fait naître sur papier les configurations harmonieuses et les compagnonnages qui allaient créer toute cette beauté, planifié l’utilisation de chaque pouce carré de serre afin que tout soit prêt pour une autre saison verte, imaginé chaque engrais vert, chaque semis en succession. Les jardins ont une fois de plus vu le jour dans mon esprit.

Hélas, je sais maintenant que leur descente dans la matière ne se fera pas cette année, et plus jamais dans les années à venir. On ne peut pas prendre d’année sabbatique en agriculture. Rapidement, les jardins, retourneront à la nature sauvage. Il en restera quelque chose, une fertilité étonnante, certaines des vivaces qui résisteront à l’envahissement des adventices, des fleurs qui, du moins les premières années, pourront se frayer un chemin, des êtres invisibles qui, conviés avec respect depuis longtemps, préserveront ce qui peut l’être de ce beau rêve, de ce beau projet dicté non par l’économie mais par une vision spirituelle. Il faut croire que l’heure qui fut n’est plus et qu’elle ne sera plus pour un temps.

Je me rends bien compte que la vision sociale actuelle et celle que je porte ici ne vont pas dans la même direction. Je vois l’intuition comme source de connaissance pour l’avenir. L’intuition et la pensée vivante ainsi que l’évolution de tous nos sens vers la subtilité. La société voit de plus en plus la science comme seule source de vérité, l’analyse laborantine comme seule preuve acceptable de qualité ou d’innocuité et la consommation comme la source du bonheur.

La tenue de dossiers et la somme incommensurable de toutes sortes de documents minutieux et pointus n’améliorent en rien la qualité d’un produit de plante. L’établissement d’une telle panoplie de procédures ne fait que nous distraire de notre véritable travail. Nous sommes des artisans du végétal vivant. Pas des employés d’une manufacture de produits de plantes. L’amélioration d’un remède à base de plantes ne se produit que lorsque le travail manuel de la terre et le fait d’œuvrer concrètement à la vitalisation de cette dernière permet d’élever des plantes de plus en plus vibrantes et saines. Il n’est pas normal de devoir, dans une herboristerie, sacrifier des jardiniers pour payer des pousseux de crayons ou de touches d’ordi dont le rôle est de satisfaire l’obsession gouvernementale. Je lisais dernièrement ceci :
« L'émission d'une licence de mise en marché signifie que le produit a été examiné par Santé Canada et qu'il est sûr, efficace et de haute qualité sous ses conditions d'utilisations recommandées. »

Quelle illusion ! Quelle délusion ! Bien sûr, lorsque la responsabilité d’évaluer et d’homologuer l’efficacité, l’innocuité et la qualité des produits est dispensée à des gens pour qui toutes les plantes se valent, qui n’admettent pas la valeur ajoutée d’un produit biologique, qui nous avouent n’avoir jamais entendu parler de la biodynamie, pour nous, la marche est haute pour faire valoir notre position et nos priorités.

Ce n’est pas notre mission d’aller dans cette direction. Nous sommes un art du terroir, pas un sous-produit de compagnies pharmaceutiques qui essaient de s’adapter à la vision arhimanique pour être accepté par le système et recevoir l’alléchante permission de pouvoir se vendre légalement. Nous n’avons besoin de la permission de personne pour bien faire notre ouvrage d’herboristes. De toutes manières, ce n’est pas le gouvernement qui sait ce que cela veut dire, ne comprenant rien à notre réalité qui ne les passionne pas. Sinon, ils seraient avec nous dans le champ.

Je crois qu’en dehors de la vitalisation de la terre, seule la joie du travail bien fait, la saine ambiance de travail où chacun se sent valorisé et la conscience d’œuvrer à la guérison peut ajouter quelque chose à la qualité du produit de plante. Nous sommes vibrations en contact avec les vibrations cosmiques. Nous ne sommes pas des objets en train d’en manipuler d’autres. Il y a bien davantage à l’œuvre que des formules chimiques et des données mathématiques. Nous assurons le sauf conduit de formes de vie dans un avenir qui, au fond, fait tout pour rendre l’existence impossible à ses meilleurs apôtres. 

J’ai toujours dit que je n’étais pas venue sur la terre pour faire des produits à base de plantes, que ce n’était qu’une excuse pour faire circuler la vie. Ce ne sont pas des gouttes plus ou moins concentrées de substance que j’ai offertes à L’Armoire aux Herbes, mais des jardins biodynamiques en bouteilles, une qualité vibratoire guérissante, une vision de demain, un espoir et une certitude de pérennité. Depuis 30 ans, je ne compte plus les gouttes de jardins qui se sont déversées au quatre coins de la province. Les personnes qui nous cherchaient nous trouvaient. Ma seule consolation est d’avoir fait école et que d’autres, maintenant, comprennent l’importance de demeurer fidèle à l’engagement envers la vie.

Peut-être est-ce le temps pour moi de diffuser l‘esprit sans qu’une somme phénoménale de mon énergie aille au support de la matière? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que j’ai eu la chance immense de vivre sur une terre fertile et hautement spirituelle qui continuera encore longtemps à offrir ses services subtils et à soigner par la conscience. Je ne suis pas attachée au revenu généré par la vente en magasin. Ma motivation n’est pas pécuniaire, ne l’a jamais été. J’ai apprécié les sous générés par ce moment de liberté où nous avons pu offrir le bon sans avoir à prouver autrement que par les résultats obtenus. Il a permis de redonner encore et encore à cette terre d’accueil que nous travaillons sans relâche. Il nous a permis d’inviter une immense variété de plantes, produisant un écosystème heureux et vibrant de santé. Il nous a permis d’avoir la liberté d’offrir des connaissances sans dépendre totalement des retombées financières pour le faire. Il nous a permis de ne pas acheter pour revendre mais de produire en biodynamie, sans jamais négliger l’effort à fournir. Il nous a permis de donner sans compter. Je ne regretterai jamais cela. Même si, finalement, c’est la réalité financière qui force le retrait de cette herboristerie qui a toujours tenté, dans la mesure du possible, de bien payer ses employés, de ne jamais sacrifier la qualité pour la quantité, ni faire des coins ronds.

J’ai toujours vu L’Armoire aux Herbes comme un dispensaire, un vrai, au service de l’humain qui ne peut pas se permettre de payer plus cher pour supporter des laboratoires, des formulaires et des tonnes de papier à noircir. Je préfèrerai toujours noircir la terre en lui ajoutant du bon compost que de noircir du papier. Faudra-t-il attendre l’écroulement du système et l’état d’urgence pour que renaisse le respect des petites herboristeries qui, malgré le fait qu’elles ne peuvent pas se payer le luxe de l’approbation aliénante d’un système à la courte vision et aux valeurs décentrées, ne devraient pas pour autant constituer des hors-la-loi à contraindre et à assassiner? 

Non, je ne vendrai pas à rabais toutes les vivaces qui sont ici. Je respecte trop la terre pour lui arracher ses enfants par les racines pour des raisons économiques. J’ai toujours partagé généreusement mes amies les plantes. De nombreux jardins du Québec sont les rejetons de cette florissante Armoire aux Herbes. Je continuerai à être la gardienne dévouée de cette terre que j’aime tant.

J’aurai beaucoup de peine quand, ayant trouvé pour elles des personnes aimantes et accueillantes, mes juments devront me quitter car je n’aurai plus les moyens de les nourrir, ni d’usage pour leur fumier, source animale de tous nos composts.

J’aurai beaucoup de peine quand on démantèlera la grande serre, afin qu’elle puisse continuer de servir ailleurs, le grand séchoir qui nous a aidé à créer les plus belles tisanes au monde, ceci dit sans le moindre orgueil.

Sachez que je ne suis pas inquiète de ma survie personnelle. On a besoin de peu quand on avance en âge. Ma richesse dans cette vie, ce fut d’avoir vécu pleinement mon rêve, d’avoir généré de tels jardins et d’avoir pu promouvoir, avec leur assistance, beauté, santé et vie de l’âme. Toutes mes économies y sont passées. Et Dieu sait que je ne regretterai jamais d’avoir fait ce choix. C’est ce qui a justifié tout mon enseignement et mes plus belles découvertes.

Il me reste à me mettre totalement d’accord avec ma destinée de maintenant, soit ce retrait et cette imminente fermeture, à cause d’un système politico-social qui manque de vision et de profondeur. Mais c’est là où nous sommes, n’est-ce pas? Il paraît qu’on a les décideurs qu’on mérite. Cette épreuve deviendra-t-elle une motivation de plus pour continuer de partager la connaissance, la vision d’un avenir où le vivant retrouvera sa vraie place, à la source de nos choix et de nos vies?

Je me mettrai d’accord avec ce qui se passe. Je ne serai pas une victime. J’y découvrirai ma prochaine étape. Je ne serai pas une « Has been ». Je ferai confiance aux forces spirituelles qui m’ont guidée tout du long et qui savent ce qui est espéré pour cette nouvelle phase de ma vie. Je ne me révolterai pas, je ne me fermerai pas comme une huitre. Je continuerai à supporter les causes qui me sont chères. J’aiderai de mon mieux mes proches et les gens de mon milieu. Et je jardinerai à mon échelle : je ne saurais imaginer ma vie sans un potager, sans quelques îlots dans lesquels j’intègrerai mes plus essentielles alliées. Je demeurerai jusqu’à mon dernier souffle une ardente amoureuse du règne végétal. 

Je suis une poupée russe vivante. Je me relève vite et résolument quand on me fait tomber. Je suis aussitôt prête à aller encore plus profondément contacter mon essence pour comprendre et continuer à remplir la mission qui justifie ma présence sur cette terre.

En janvier, j’ai connu l’ablation de ma vésicule biliaire qui s’affaissait et devenait dangereuse de par la présence d’une quantité excessive de pierres. La souffrance précédant l’opération fut extrême. Mon corps en est à réapprendre à fonctionner hors de ses sentiers battus, à emprunter d’autres voies, à s’habituer à l’absence d’un organe, à se rebâtir une nouvelle façon de fonctionner. Vous comprendrez que je ne puisse m’empêcher d’y voir là la symbolique de ce que vit notre société.

On peut couper l’élan à une herboristerie traditionnelle. On peut l’empêcher de vendre ses produits. Mais on ne peut pas démolir une herboriste de souche, une biodynamicienne de cœur, une femme de la terre et une guérisseuse, même si on lui retire le droit d’offrir ses plus beaux fruits.

Merci d’être là et de croire en une herboristerie qui va au-delà du commerce. Une herboristerie qui a de longues racines et qui, malgré les extrêmes du climat actuel, survivra et fleurira encore et toujours, quelle qu’en soit la forme.

Je vous salue bien bas et vous tire ma révérence,

Danièle Laberge
Herboriste traditionnelle
Maman de la bientôt feue Armoire aux Herbes