lundi 21 mai 2012

Quand pousse le mai


Les fougères se déroulent en volutes vertigineuses. Chaque année, elles impriment dans la forme le mouvement rythmique de leur nature ancestrale, impressionnant et inspirant. J’aime les visiter et passer du temps avec elles. Elles me parlent de tout ce qui, de la vie, veut se dire et s’exprimer franchement. La liberté de parole. Un sujet … brûlant en ces jours de manifestations et de nouvelle loi spéciale 78 … Elles portent fidèlement la mémoire du lointain passé de la terre, où les plantes n’avaient pas encore accès aux floraisons et à la production de fruits, mais seulement au minéral (racines) et à l’éthérique (feuilles). En cela, elles n’ont pas changé au fil du temps, malgré le fait que leur taille atteignait alors des hauteurs maintenant inimaginables. 
Bientôt, ici, elles auront achevé leur montée et étireront leurs frondes, assurant moiteur et fraicheur à la terre qui les abrite. Une course s’engage entre le muguet et les fougères. Les fougèrent veulent ombrager la terre, mais les muguets, à leurs pieds, ont besoin de lumière pour fleurir. 
Les pointes acérées des feuilles du muguet poussent toutes deux du même côté de la tige, comme pour en assurer la force de ponction, et percent allègrement leur chemin. La petite plante, grâce à son rhizome traçant appelé griffe, rame littéralement sous le sol, agrandissant constamment son territoire, ce qui n’est pas pour me déplaire. Je vois déjà apparaître de nombreuses grappes de minuscules clochettes qui se creuseront et blanchiront (ou rosiront) dans les semaines à venir. Le muguet a beau être traditionnellement la fleur du premier mai, ici, il n’atteint sa maturité florale qu’à la fin mai, pour notre plus grande joie. Quelques brins suffiront à griser l’air de nos maisons. 
Chaque jour, avec la chaleur qui s’installe enfin, les manifestations de la vie végétale m’encouragent à l’observation ponctuelle et attentive de leur évolution, si riche d’enseignements et ce malgré tout ce qu’il y aurait à faire… ailleurs. Le dernier pas du printemps est le plus rapide. Si on n’y prend garde, on aura manqué quelques numéros sensationnels du spectacle qui ne reviendra que l’an prochain. Déjà, les pissenlits et les tussilages passent du jaune éclatant au blanc duveteux de leurs sphères de graines, les petits visages colorés des pensées sauvages s’harmonisent avec les gracieuses chélidoines qui hissent leurs candélabres de semences. Les primevères colorent vivement la rocaille alors que le coucou (primula veris) dresse ses hampes florales d’un jaune primesautier un peu partout dans les plates-bandes, même sans avoir été invité à le faire. Coucou ! En voilà un qui porte bien son nom... Qui songerait à s’en plaindre. Les myosotis et l’aspérule blanche illuminent le sol, remplaçant les scilles, les chionodoxas et les derniers muscaris si parfumés. Les narcisses tardives continuent d’embaumer l’air tandis que les jonquilles fanent et que les tulipes s’ouvrent jusqu’à l’évanouissement, exposant leurs cœurs dressés et ivres de pollen.
La violette si verdoyante se couvre de fleurs sucrées d’un mauve profond qui séduisent mes papilles et mes salades. La myrhhe odorante a créé de l’ombre pour le gingembre sauvage et dresse peu à peu ses ombelles odoriférantes que l’air chaleureux se charge de faire circuler jour et nuit. Les vaillantes pulmonaires continuent de fleurir malgré la chaleur qui fane leurs feuilles faites pour le froid. L’hydraste du Canada est en fleurs, ainsi que les anémones du Canada, les monnaies du pape, les actées bleues, les sceaux de Salomon, les trollius et (bien sûr), j’en passe. Les pommiers, pommetiers et cerisiers s’éclatent sans retenue. L’angélique nourrit sa rosette géante et brillante à même la moindre ondée.
Mon petit séchoir est rempli de livèche (appelée aussi céleri vivace ou ache), cette plante grandiose dont les feuilles au goût prononcé prennent le relai du céleri dans les soupes et sauces des saisons froides. Aujourd’hui, je ferai peut-être de la teinture-mère d’ortie Elle est maintenant trop coriace pour la soupe et j’en ferai sécher pour les moments où la vigueur me manquera au cœur de l’hiver.
Hier, j’ai taillé le basilic dans la serre, afin qu’il multiplie ses tiges feuillues. Quel délice ! Toutes mes petites plantules croissent à vue d’œil. Oh ! Je suis bien loin des dizaines de milliers de plantules qui vivaient en pouponnière, choyées dans la grande serre de l’Armoire aux Herbes de jadis. Je fais dorénavant des choix limités à travers les innombrables espèces que j‘aime et ces choix varient d’année en année. Les quelques petits îlots un peu enherbés autour de ma chaumière ne me permettent plus d’inviter trop de belle visite en même temps. En plus des fines herbes, ces incontournables, je m’offre cette fois-ci des belles de nuit, des calendules blondes, des immortelles des sables, des commélines minuscules, des balsamines, des tithonias, des pois de senteur, des sauges bicolores de l’Himalaya et quelques autres. Mes plants de tomates, trapus et solides, viennent de graduer des caissettes où elles avaient vu le jour au sol bien réchauffé de mon petit abri végétal. Ils vont maintenant pouvoir se nourrir abondamment et pousser sans que leurs racines ne soient à l’étroit.
Pendant que je vous parlais amoureusement de mes amies, le soleil s’est levé. Il va faire très chaud aujourd’hui. Je vais donc me hâter d’aller me promener pour voir ce que la nuit m’a légué de merveilles à découvrir. Puis j’ouvrirai les côtés de la serre et fournirai un arrosage copieux à tout ce petit monde qui va se développer joyeusement aujourd’hui. Tout comme nous, n’est-ce pas? Bonne croissance! 


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samedi 12 mai 2012

Après un long silence - Inspirante émergence printanière


Inspirante émergence printanière
par Danièle Laberge, herboriste traditionnelle

À la lumière des jonquilles
Ce qu’elle est inspirante, l’émergence, ce printemps! Chaque nouvelle apparition végétale, avec laquelle nous partageons un regard ému, semble nous présenter une facette de la vie, une facette de nous-mêmes que nous retrouvons avec une gratitude éperdue. On n’est jamais aussi vivant que lorsqu’on sait qu’on pourrait bien ne plus l’être. Cette phrase devrait être une pratique de chaque réveil, de chaque nouvelle journée, de chaque saison verte qu’on entame. Rien n’est plus fort que la vie, mais rien n’est aussi précaire que notre présence en ce corps, en cette vie. Vous savez comme moi qu’on vit souvent comme si on avait toute la vie devant soi, et on l’a. Mais sous quelle forme, ça on ne le sait pas.
Comment anticiper l’avenir du vivant? Librement. Car le vivant vit et change de forme et ne se laisse pas incarcérer ou cristalliser impunément. Nous devons croire à la révolution verte, la vraie, celle qui fait verdir la terre et non pas la tourner en poussière. Nous devons croire à la richesse pour tous, la vraie richesse dans la liberté. Les pays pauvres constituent les 3/4 de l’humanité, mais sont-ils vraiment les plus pauvres? Quelle pauvreté de tout avoir et de ne pas connaître la générosité, de tout savoir et de ne rien comprendre...
Il y a bien eu quelques surprises. Chaque printemps est une variation sur un thème. Heureusement que les plantes savent quand sortir au grand jour. Elles ne se laissent pas séduire par les quelques journées de grosse chaleur de mars, sentant que mai nous réserve encore des nuits glaciales et autres épreuves. Si elles sortent, elles demeurent basses, lovées tout contre la terre, prudentes. Il ne faut pas se décourager, ni tailler trop vite les vivaces qui ont l’air de n’avoir pas survécu. Il est encore tellement tôt. Il faut faire confiance à l’avenir et le laisser être à-venir.
Quand revient le printemps, la plupart d’entre nous explorons des hauts et des bas en
succession rapide, des angles aigus à négocier à chaque virement de cap, des émotions qui refluent et remuent tout sur leur passage... Des jours de peine et des jours de lumière, souvent sans que les circonstances extérieures ne puissent expliquer raisonnablement ni les uns ni les autres... Des moments où l’on a du mal à voir le bout des tunnels, où l’on en oublie presque les éclaircies, où la tâche semble trop lourde et où, comme le disait mon ami Pierre Domingue, la terre est franchement trop basse... Des jours de renouveau d’énergie, où les fleurs printanières nous font de l’œil, où les sourires de nos proches nous raniment, où l’espoir et la confiance en la vie nous réconcilient avec l’étape... Et avec nous-mêmes. C’est qu’en toute chose, il faut mettre tellement de conscience, presque plus qu’on en a en réserve. Les listes de choses à faire s’allongent irrémédiablement, beaucoup plus vite que les heures d’ensoleillement. Il faut s’organiser ou l’on est vite dépassé. Il faut s’allier le temps, sinon il se déguise rapidement en générateur d’empêchements. La nature nous indique ce qu’il est temps de faire et c’est incontestable. Seule la température peut en décider autrement. Tout est à faire en même temps, au printemps, dans nos climats nordiques. L’heure espérée où l’on pourra impunément paresser dans un hamac en écoutant pousser sagement un jardin impeccable et chanter des oiseaux qui ne croassent pas en jetant toutes les graines des mangeoires dans les plates-bandes qu’on vient de nettoyer, n’a pas encore sonné. Et sonnera-t-elle un jour, cette heure magique? Durera-t-elle plus longtemps que l’éclat d’une rose?
 Nous avons envie de faire peau neuve, de sentir l’élan bourgeonnant, de nous redonner un point de départ? Et pourquoi pas? Émuler la nature ne nous vient-il pas naturellement? Alors, offrons-nous une petite cure de printemps. Concoctons- nous des salades de pissenlit, d’oseille, de mauve et de violette. Savourons les petites feuilles de nos jeunes épinards, saupoudrés de ciboulette. Faisons-nous des tisanes de mélisse naissante, de feuilles de myrrhe odorante si semblables à de douces fougères, de pensée sauvage et de pousses de toutes sortes. Une bonne soupe à l’ortie nous reconstituera une volonté. Les asperges nous rapprocheront du règne minéral par leurs constituants, pas par leur consistance car elles sont tendres comme le petit vert qui s’accroche aux arbres comme un voile soyeux.
 Nous arriverons à la Saint-Jean en même temps que tout le monde et célébrerons ce joyeux festival malgré la fatigue et même, osons le dire, grâce à elle. Elle nous propulsera vers le plus haut, le plus grand, le plus vrai de notre potentiel d’humain en démarche. La graine ne peut pas retenir la substance qui, s’inspirant de sa mémoire vivifiée par l’hiver, lui offre les moyens de se réaliser et de monter vers la lumière. De tout notre être, nous aspirons à la douceur irrésistible d’un fugace été, toujours trop court pour l’explorer à satiété. L’été spirituel qui nous appelle est de bien plus loin et de bien plus conscient. En attendant, souhaitons-nous des brassées de fleurs, des joies simples et vraies, des feux d’artifices dans le cœur et des amitiés partagées.


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