Il pleut des cordes depuis des jours. Malgré le fait que les nuages sont bas et que le soleil manque à l’appel, dehors, une sorte de lueur en sourdine me fait vibrer d’espoir. Toute cette eau dégourdit le règne végétal. Les bourgeons gonflent et se déchirent à vue d’œil, laissant s’échapper fleurs et feuilles. Les graminées poussent sans vergogne et envahissent le paysage, en arrondissant les contours. Les fleurs des bulbes printaniers sont courbées jusqu’à terre, alourdies de toute cette moiteur, mais je sais que le moindre rayon les sèchera et qu’elles auront encore l’élan de se redresser.
S’il ne pleuvait pas tant, ce serait le temps de récolter la pulmonaire, l’ache, la jeune ortie, les feuilles de grande oseille et de pissenlit. La sanguinaire qui a commencé sa floraison aurait l’élan d’ouvrir à nouveau ses charmantes fleurs blanches. L’asarum, le sublime gingembre sauvage, achève à peine de déplier ses feuilles que déjà il fleurit, une floraison discrète, cachottière mais sublime pour qui sait la trouver. La myrrhe odorante est ivre de ces conditions qu’elle adore. Je crois bien qu’un jour, elle envahira tous les recoins de ma vie, elle qui se multiplie à la folie. Je me suis faite une tisane avec ses tendres feuilles parfumées à l’anis. Elle était d’un vert si brillant. J’ai senti qu’elle m’allégeait et me disposait au bonheur.
Les rosettes des plantes vivaces et bisannuelles s’élargissent (angélique, origan, ancolie, anémone, pavot vivace, pied d’alouette, cœur saignant, alchémille, pour n’en nommer que quelques-unes). Elles demeurent basses, lovées tout contre la terre, prudentes. Certaines ne sont pas encore réveillées à l’heure où je vous écris. J’attends toujours la campanule des champs, cette annuelle charmante qui se ressème abondamment. Peut-être la pluie qui nous inonde cette semaine lui donnera-t-elle le signal de l’apparition, quoique le fond de l’air est encore froid. Les vitex ont toujours l’air d’arbrisseaux morts et demeureront dans cet état jusqu’en juin. Les lavandes, les sauges, les thyms et les marrubes portent encore leurs vêtures molles et grises de fin d’hiver, ne verdissant que petit à petit, et pas partout en même temps. Il ne faut pas se décourager, ni tailler trop vite. Il est encore tellement tôt. Il faut faire confiance à l’avenir et le laisser être à-venir. « Les gens n’ont pas le temps de goûter le temps qui passe. Chaque minute, qui pourrait être un cadeau, n’est plus qu’une enclave entre deux autres minutes. » (Françoise Sagan)
Ce que j’apprécie l’émergence, ce printemps! Chaque nouvelle apparition au jardin, avec qui je partage un regard ému, semble me présenter une facette de la vie, une facette de moi-même que je retrouve avec une gratitude éperdue. Se sentir en sursis, voir le côté miraculeux de sa présence au sein de l’existence procure des saveurs nouvelles à tout ce qu’on a bien failli perdre. On n’est jamais aussi vivant que lorsqu’on sait qu’on pourrait bien ne plus l’être. Cette dernière phrase devrait être une pratique de chaque réveil, de chaque nouvelle journée qu’on entame. Rien n’est plus fort que la vie, mais rien n’est aussi précaire que notre présence en ce corps, en CETTE vie. Vous savez comme moi qu’on vit souvent comme si on avait toute la vie devant soi, et on l’a. Mais sous quelle forme, ça on ne sait pas.
L’appréciation des cadeaux inattendus de la vie ouvre les portes de l’abondance. On peut les voir comme le hasard, mais ça défait irrémédiablement toute la magie. Mieux vaut en admirer l’extraordinaire syncronicité et s’émerveiller devant la générosité de l’univers à notre égard. La reconnaissance n’est jamais déplacée.
Hier, j’admirais la grande talle d’ails des bois dans mon îlot du sous-bois. J’avais planté quelques spécimens il y a trente ans. Je n’en avais encore jamais récolté. Ils se sont avantageusement développés. Cette fois-ci, j’ai enlevé une feuille et je l’ai dégustée, telle quelle, sous la pluie, sentant toute sa puissance de son don de vie. Je crois bien que nous avions mérité cet échange profond, l’ail des bois et moi, cette pure magie du moment.
Ah! Le printemps! La saison des nouveaux départs et des éveils! Il permet de se donner l’impression de recommencer ce qui, au fond, n’en finit plus de continuer. Il scande des passages et donne espoir que tout est encore possible, que tout renaît de ses cendres. Renouveau. Nouveau de nouveau. Vu comme si c’était la toute première fois. Regard neuf sur ce qui revient parader devant nous pour se faire enfin aimer et connaître. Puissions-nous ressentir l’élan créateur, nous éveiller à la beauté cachée, renouer avec le subtil, voir au-delà du visible en nous et autour de nous.
Vous pouvez m’envoyer vos courriels à danielelaberge@hotmail.com
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